Cumul EURL et SASU : est-ce légalement possible ?

L’entrepreneuriat moderne pousse de nombreux dirigeants à explorer diverses stratégies d’optimisation fiscale et de diversification d’activités. Parmi les questions les plus fréquemment posées figure celle du cumul entre une Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL) et une Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU). Cette interrogation légitime soulève des enjeux juridiques, fiscaux et sociaux complexes qui méritent un éclairage approfondi.

La possibilité de détenir simultanément ces deux structures juridiques distinctes s’inscrit dans une démarche d’optimisation patrimoniale et de gestion différenciée des activités entrepreneuriales. Toutefois, cette approche nécessite une compréhension fine des mécanismes légaux et des implications pratiques qui en découlent. L’analyse des textes de loi, de la jurisprudence et des positions administratives permet de clarifier les contours de cette pratique.

Cadre juridique du cumul de statuts d’entreprises unipersonnelles en droit français

Analyse des dispositions du code de commerce relatives aux sociétés unipersonnelles

Le Code de commerce français établit un cadre juridique spécifique pour les sociétés unipersonnelles, permettant théoriquement le cumul de plusieurs structures par une même personne physique. L’article L.223-1 du Code de commerce définit l’EURL comme une SARL constituée d’un seul associé, tandis que l’article L.227-1 encadre la SASU comme une SAS unipersonnelle.

Aucune disposition légale n’interdit formellement à un entrepreneur de détenir simultanément plusieurs sociétés unipersonnelles. Cette liberté juridique découle du principe de capacité de la personne physique à constituer autant de patrimoines d’affectation qu’elle le souhaite, sous réserve de respecter les obligations légales spécifiques à chaque structure.

La distinction fondamentale entre ces deux formes sociétaires réside dans leur régime juridique : l’EURL relève du droit des SARL avec ses spécificités, tandis que la SASU bénéficie de la flexibilité statutaire caractéristique des SAS. Cette différenciation permet d’envisager une complémentarité entre les deux structures pour optimiser la gestion entrepreneuriale.

Jurisprudence de la cour de cassation sur la multiplicité des activités entrepreneuriales

La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement clarifié les conditions de validité du cumul de structures juridiques distinctes. L’arrêt de la Chambre commerciale du 12 juillet 2016 a établi que la multiplicité des sociétés détenues par un même dirigeant ne constitue pas en soi un abus de droit, dès lors que chaque structure présente un objet social distinct et une activité réelle.

Les juridictions examinent principalement la réalité économique des activités exercées par chaque société. Le critère déterminant réside dans l’existence d’une justification économique légitime pour la création de structures séparées. Cette approche jurisprudentielle favorise les montages qui respectent une logique d’organisation entrepreneuriale cohérente.

La Cour de cassation a également précisé que l’administration fiscale ne peut remettre en cause la validité d’un cumul de sociétés au seul motif de l’optimisation fiscale recherchée, tant que les conditions légales de constitution et de fonctionnement sont respectées.

Réglementation URSSAF concernant les cotisations sociales multiples

L’URSSAF applique des règles spécifiques en matière de cotisations sociales pour les dirigeants cumulant plusieurs mandats. Le principe général veut que chaque mandat social génère ses propres obligations en matière de cotisations, ce qui peut conduire à des situations de cumul de charges sociales.

Pour l’EURL, l’associé unique gérant relève du régime des travailleurs non salariés (TNS) et cotise auprès de la Sécurité sociale des indépendants. En revanche, le président de SASU bénéficie du statut d’assimilé salarié et cotise au régime général. Cette dualité de régimes sociaux constitue un avantage potentiel en termes de protection sociale.

L’URSSAF vérifie néanmoins que les rémunérations versées dans chaque structure correspondent à une activité réelle et ne constituent pas une tentative de contournement des obligations sociales. Les contrôles portent notamment sur la cohérence entre les missions exercées et les rémunérations perçues.

Compatibilité avec le principe d’unicité patrimoniale

Le principe d’unicité patrimoniale, selon lequel une personne physique ne dispose que d’un seul patrimoine, trouve ses limites avec le développement des patrimoines d’affectation. Les sociétés unipersonnelles constituent des véhicules juridiques autonomes qui permettent de segmenter les activités et les risques.

Cette segmentation patrimoniale présente l’avantage de limiter la responsabilité de l’entrepreneur à ses apports dans chaque société. En cas de difficultés affectant l’une des structures, le patrimoine de l’autre demeure protégé, sous réserve du respect des règles de gestion distincte.

La création de plusieurs sociétés unipersonnelles permet une gestion différenciée des risques et une optimisation de l’organisation entrepreneuriale, tout en respectant le cadre légal français.

Mécanismes techniques de constitution simultanée EURL et SASU

Procédure de déclaration au centre de formalités des entreprises

La constitution simultanée d’une EURL et d’une SASU nécessite le respect de procédures administratives distinctes pour chaque structure. Depuis la réforme du guichet unique, les déclarations s’effectuent via la plateforme formalites.entreprises.gouv.fr , qui centralise les démarches auprès des différents organismes compétents.

Chaque société doit faire l’objet d’une déclaration séparée, accompagnée des documents constitutifs spécifiques : statuts, déclaration de non-condamnation du dirigeant, justificatifs de siège social, et attestation de dépôt des fonds pour le capital social. La simultanéité des créations n’implique pas de formalisme particulier, mais exige une coordination précise des démarches.

Les délais de traitement peuvent varier selon la complexité des dossiers et la charge de travail des greffes. Il convient d’anticiper ces délais pour éviter tout décalage préjudiciable au démarrage des activités. La planification des créations permet également d’optimiser les coûts administratifs et de bénéficier d’éventuelles économies d’échelle.

Obligations déclaratives auprès du registre du commerce et des sociétés

L’immatriculation de chaque société au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) constitue une étape obligatoire pour acquérir la personnalité morale. Cette immatriculation s’accompagne de la publication d’un avis dans un journal d’annonces légales du département du siège social, générant des coûts proportionnels au nombre de structures créées.

Le greffier vérifie la conformité des statuts et des documents constitutifs avant de procéder à l’immatriculation. Cette vérification porte notamment sur la cohérence de l’objet social , l’identification précise du dirigeant et la régularité de la constitution du capital social. Toute anomalie peut entraîner un rejet du dossier ou une demande de régularisation.

L’obtention des extraits Kbis matérialise l’existence légale de chaque société et permet d’engager les premières démarches commerciales. Ces documents officiels attestent de la situation juridique des sociétés et constituent des pièces essentielles pour l’ouverture de comptes bancaires professionnels et la signature de contrats.

Rédaction des statuts et clauses d’objet social distinctes

La rédaction des statuts constitue un enjeu majeur pour assurer la viabilité juridique du cumul EURL-SASU. Chaque société doit présenter un objet social suffisamment distinct pour justifier son existence autonome. Cette distinction s’avère particulièrement importante en cas de contrôle fiscal ou de contentieux avec des tiers.

Les clauses statutaires doivent refléter la spécificité de chaque activité et éviter les recoupements susceptibles de créer une confusion entre les deux structures. Par exemple, une EURL spécialisée dans le conseil en gestion peut coexister avec une SASU dédiée à la formation professionnelle, chaque activité présentant ses propres caractéristiques et sa clientèle distincte.

La flexibilité statutaire de la SASU permet d’intégrer des clauses d’organisation spécifiques, tandis que l’EURL suit un modèle plus standardisé proche de celui des SARL. Cette différenciation statutaire constitue un élément de sécurisation juridique du montage et facilite la gestion opérationnelle des deux structures.

Désignation de gérance et présidence pour chaque entité

La désignation des dirigeants dans chaque société obéit aux règles spécifiques de chaque forme juridique. Pour l’EURL, l’associé unique peut se désigner gérant ou nommer un tiers à cette fonction. Dans la SASU, l’associé unique désigne obligatoirement un président, qui peut être lui-même ou une personne tierce.

Le cumul de mandats sociaux par une même personne physique est juridiquement possible, mais génère des obligations particulières en matière de représentation légale et de responsabilité civile. Chaque mandat s’exerce indépendamment, avec ses propres prérogatives et limites définies par les statuts et la loi.

Cette dualité de fonctions dirigeantes offre une souplesse de gestion appréciable pour adapter l’organisation aux besoins spécifiques de chaque activité. Elle permet également de différencier les niveaux de responsabilité et d’adapter la gouvernance aux caractéristiques de chaque marché ou secteur d’activité.

Optimisation fiscale par la répartition d’activités entre EURL et SASU

Stratégies de répartition du chiffre d’affaires selon les régimes d’imposition

L’optimisation fiscale par répartition d’activités entre EURL et SASU repose sur l’exploitation des différences de régimes d’imposition. L’EURL peut opter pour l’impôt sur le revenu (IR) ou l’impôt sur les sociétés (IS), tandis que la SASU relève par défaut de l’IS avec possibilité d’option temporaire pour l’IR sous certaines conditions.

Cette dualité de régimes permet de moduler la charge fiscale globale en fonction de la répartition du chiffre d’affaires et des bénéfices entre les deux structures. Une stratégie courante consiste à affecter les activités à forte marge à la structure bénéficiant du régime fiscal le plus avantageux, tout en respectant la réalité économique des opérations.

Les taux d’imposition différenciés offrent des opportunités d’optimisation significatives. Le taux réduit d’IS de 15% sur la première tranche de 38 120 euros de bénéfices peut être exploité dans chacune des deux sociétés, doublant potentiellement l’avantage fiscal par rapport à une structure unique.

Déduction des charges communes et facturation inter-sociétés

La gestion des charges communes entre EURL et SASU nécessite une approche rigoureuse pour respecter les règles fiscales et éviter les redressements. Les frais partagés (locaux, matériel, services) doivent faire l’objet d’une répartition objective basée sur des critères économiques vérifiables : surface occupée, temps d’utilisation, chiffre d’affaires proportionnel.

La facturation inter-sociétés constitue un mécanisme légal de transfert de charges, sous réserve de respecter le principe de pleine concurrence. Les prestations facturées entre les deux structures doivent correspondre à des services réels et être valorisées à leur juste valeur marchande. Toute surévaluation ou sous-évaluation expose à un risque de rectification fiscale.

Les conventions de services entre les deux sociétés doivent être formalisées et documentées pour justifier les flux financiers. Cette documentation s’avère essentielle en cas de contrôle fiscal et contribue à sécuriser la déductibilité des charges et la reconnaissance des produits.

Gestion de la TVA intracommunautaire entre les deux structures

La TVA intracommunautaire peut présenter des enjeux spécifiques lorsque les deux sociétés entretiennent des relations commerciales ou partagent certaines activités. Chaque structure dispose de son propre numéro de TVA et doit respecter les obligations déclaratives correspondantes.

Les opérations entre les deux sociétés relèvent du droit commun de la TVA, avec application du taux en vigueur selon la nature des prestations. Cette situation peut générer des flux de TVA déductible et collectée qu’il convient d’optimiser dans une logique de trésorerie et de gestion administrative.

L’option pour différents régimes de TVA (réel normal, réel simplifié, franchise) peut être utilisée stratégiquement pour adapter la gestion administrative aux spécificités de chaque activité. Cette différenciation permet d’optimiser la charge de travail tout en respectant les seuils et conditions légales de chaque régime.

Planification successorale et transmission patrimoniale différenciée

Le cumul EURL-SASU offre des possibilités intéressantes en matière de planification successorale et de transmission d’entreprise. La détention de deux structures distinctes permet une approche différenciée de la transmission, en fonction des caractéristiques de chaque activité et des objectifs patrimoniaux.

Les parts sociales d’EURL et les actions de SASU peuvent faire l’objet de stratégies de transmission distinctes : donation-partage, cession progressive, démembrement de propriété. Cette flexibilité s’avère particulièrement utile pour adapter la transmission aux contraintes familiales et fiscales spécifiques.

La diversification des structures juridiques constitue un levier efficace de planification patrimoniale, permettant d’adapter les stratégies de transmission aux spécificités de ch

aque activité et aux objectifs de l’entrepreneur.

Régimes sociaux divergents et protection sociale de l’entrepreneur

Le cumul EURL-SASU génère une situation particulière en matière de protection sociale, chaque structure relevant d’un régime distinct avec ses propres caractéristiques. L’associé unique gérant d’EURL relève du régime des travailleurs non salariés (TNS) géré par la Sécurité sociale des indépendants, tandis que le président de SASU bénéficie du statut d’assimilé salarié rattaché au régime général.

Cette dualité de régimes offre des avantages considérables en termes de couverture sociale complémentaire . Le régime général procure une protection plus étendue notamment en matière d’indemnités journalières maladie et de droits à la retraite, compensant les lacunes traditionnelles du régime TNS. Cette complémentarité permet d’optimiser la protection sociale globale sans recourir à des assurances privées coûteuses.

Les cotisations sociales se cumulent sur les deux régimes, mais cette situation peut s’avérer avantageuse pour la constitution des droits à retraite. Les trimestres et points acquis dans chaque régime se cumulent pour déterminer les droits à pension, permettant potentiellement d’atteindre plus rapidement le nombre de trimestres requis pour une retraite à taux plein.

La gestion des cotisations nécessite une attention particulière pour éviter les erreurs déclaratives. Chaque structure doit déclarer séparément ses rémunérations et cotiser selon les barèmes applicables. Les décalages de paiement entre les deux régimes peuvent générer des difficultés de trésorerie qu’il convient d’anticiper dans la planification financière.

Contraintes administratives et obligations comptables du double statut

La gestion simultanée d’une EURL et d’une SASU multiplie significativement les obligations administratives et comptables. Chaque société doit tenir une comptabilité distincte, établir ses comptes annuels et respecter ses propres échéances déclaratives. Cette duplication des tâches administratives représente un coût en temps et en ressources qu’il convient d’évaluer précisément.

Les obligations comptables varient selon la taille et l’activité de chaque société, mais incluent généralement la tenue d’une comptabilité régulière, l’établissement d’un bilan et d’un compte de résultat annuels, ainsi que la publication des comptes au greffe du tribunal de commerce. La complexité administrative peut justifier le recours à un expert-comptable pour chaque structure, doublant les coûts professionnels.

Les assemblées générales annuelles doivent être organisées pour chaque société, même si l’associé unique peut prendre les décisions par actes sous seing privé dans certains cas. Cette formalité implique la rédaction de procès-verbaux, la tenue de registres distincts et le respect des délais légaux d’approbation des comptes.

La coordination des échéances fiscales et sociales entre les deux structures nécessite une organisation rigoureuse. Les déclarations de TVA, les liasses fiscales, les déclarations sociales et les paiements de cotisations suivent des calendriers différents selon les options choisies pour chaque société. Cette gestion multiple peut générer des risques d’oubli ou de retard préjudiciables.

Les contrôles fiscaux et sociaux peuvent porter sur l’une ou l’autre des structures, voire sur les deux simultanément. La cohérence entre les déclarations des deux sociétés devient alors cruciale pour éviter les redressements. La documentation des relations inter-sociétés et la justification des répartitions de charges constituent des enjeux majeurs en cas de vérification.

Alternatives juridiques au cumul EURL-SASU pour l’optimisation entrepreneuriale

Avant d’opter pour le cumul EURL-SASU, il convient d’examiner les alternatives juridiques susceptibles de répondre aux mêmes objectifs d’optimisation. La création d’une holding peut permettre de structurer plusieurs activités sous un même ensemble cohérent, tout en bénéficiant d’avantages fiscaux spécifiques comme le régime mère-fille ou l’intégration fiscale.

L’exercice de plusieurs activités au sein d’une même société constitue souvent une solution plus simple administrativement. Une SASU peut parfaitement exercer plusieurs activités distinctes, sous réserve que son objet social soit suffisamment large. Cette approche évite la duplication des obligations administratives tout en permettant une comptabilité analytique pour distinguer les résultats de chaque activité.

La création de filiales spécialisées peut également répondre aux besoins de segmentation d’activités. Cette structure offre l’avantage de centraliser la gouvernance au niveau de la société mère tout en maintenant l’autonomie juridique de chaque activité. Les synergies opérationnelles peuvent être mieux exploitées dans ce cadre organisationnel.

Le portage salarial représente une alternative intéressante pour les activités de conseil ou de prestations intellectuelles. Cette solution permet de bénéficier du statut de salarié tout en conservant une autonomie entrepreneuriale, sans les contraintes de création et de gestion d’une structure juridique supplémentaire.

Pourquoi ne pas envisager un groupement d’intérêt économique (GIE) pour mutualiser certains moyens avec d’autres entrepreneurs ? Cette structure permet de partager des coûts tout en conservant l’indépendance de chaque membre. Elle peut constituer une solution hybride entre l’exercice individuel et la création de multiples sociétés.

L’analyse comparative des coûts et bénéfices de chaque solution doit intégrer les aspects fiscaux, sociaux, administratifs et opérationnels. Le cumul EURL-SASU ne se justifie que si les avantages spécifiques compensent largement les contraintes supplémentaires générées. Cette évaluation doit être régulièrement révisée en fonction de l’évolution de l’activité et du cadre réglementaire.

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